L’illusion du contrôle

Dans le quotidien managérial, une injonction revient souvent : « il faut maîtriser ».

Maîtriser les priorités, les imprévus et les émotions. Être capable d’anticiper, d’organiser, de répondre et le tout sans flancher.

Le contrôle est vu comme une qualité : celle du manager solide, fiable et rigoureux.

Mais dans les faits, plus la complexité augmente, plus cette logique de contrôle montre ses limites.

 

Le besoin de contrôle s’explique par la pression des résultats, les exigences multiples, le flou stratégique, le injonctions contradictoires…
Dans ce contexte, chercher à tout cadrer est un réflexe de survie. Le contrôle rassure.

Mais il a un coût.

À force de vouloir tout maîtriser, certains managers passent leur temps à vérifier, relancer, et sécuriser. Ils s’épuisent à suivre des tableaux plus qu’à parler avec leurs équipes. Et perdent de vue « le terrain ».

Le contrôle finit alors par alimenter une forme d’aveuglement opérationnel.
On produit. On exécute. On sécurise. Et on ne voit plus ce qui dysfonctionne en profondeur.

 

Dans une équipe, ce qui compte vraiment ne se contrôle pas : la motivation, la confiance, l’engagement et la qualité des relations.
Ce sont des dynamiques vivantes, mouvantes et parfois fragiles. Elles se nourrissent d’écoute, de reconnaissance et de clarté.

À vouloir tout contrôler, on envoie un signal implicite : « je ne fais pas confiance ».
Conséquences : des équipes démotivées, plus d’inertie, moins de prise d’initiative et des résistances passives se mettent en place.

En réalité, le manager ne perd pas la main parce qu’il lâche prise.
Il la perd quand il s’accroche à une posture de maîtrise qui ne correspond plus à la réalité.

Lâcher-prise n’est pas renoncer à sa responsabilité. Ce n’est pas baisser les bras.
C’est une marque de discernement entre ce que le manager doit tenir (le cap, les règles du jeu, la mission) et ce que qu’il peut laisser émerger (les initiatives, les idées, les désaccords utiles).

C’est prendre le risque de faire confiance, même si le résultat n’est pas parfaitement maîtrisé. Et en acceptant une marge d’erreur pour permettre l’apprentissage.

Ce lâcher-prise stratégique est une preuve de maturité managériale.

Comment retrouver un pilotage lucide sans céder au chaos ?

Revenir au sens plutôt qu’aux moyens.
Avant de vouloir tout optimiser, clarifier ce qu’on cherche vraiment à atteindre.
Est-ce qu’on a encore le bon objectif ? Est-ce qu’il est partagé ?

Observer sans intervenir immédiatement.
Tout n’a pas besoin d’être corrigé dans l’instant. Certains dysfonctionnements sont révélateurs de tensions plus profondes. Les voir permet de mieux ajuster ensuite.

Partager la responsabilité.
Cela ne veut pas dire « déléguer et espérer que ça marche ».
Mais ouvrir un espace pour que l’équipe prenne part aux décisions, comprenne les enjeux et propose des solutions.

Poser un cadre clair, mais respirant.
Le cadre n’est pas là pour tout dicter. Il est là pour sécuriser le mouvement.
Un bon cadre permet de travailler avec souplesse, sans perdre le cap.

 

Il y a des moments où tenir bon, c’est précisément savoir lâcher un peu.
Lâcher les réflexes de contrôle pour retrouver du discernement.
Lâcher l’obsession de la maîtrise pour mieux jouer son rôle de pilote.

Car manager ne consiste pas à verrouiller chaque variable, mais à créer les conditions pour que les choses puissent évoluer.

Ce n’est pas une perte de pouvoir. C’est un ajustement de posture, volontaire et stratégique.
Un pas de côté, nécessaire pour ne pas étouffer. Un pas en avant pour laisser la place aux ajustements, aux imprévus et aux initiatives.

Là où le contrôle ferme, le discernement ouvre. Et c’est dans cette ouverture que peuvent émerger les vraies évolutions.
Pas celles que l’on prévoit, mais celles qui transforment.

Image: “Succession” de Jesse Armstrong (2018-2023)

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Manager, c’est porter, pas dominer !